Dans la Foi qui reste (l'Iconoclaste), Jean-Claude
Guillebaud, chroniqueur à La Vie depuis 2001, retrace l'histoire
d'une foi chrétienne ravivée après être restée longtemps sous le boisseau.
Malgré 20 siècles de doutes et de crises, l'Église réussit
toujours à se maintenir. Cette institution résiste-t-elle à ce que vous appelez
la « médiocrité cléricale » ?
L'esprit de vieillesse est susceptible de frapper n'importe
quelle institution. Or l'écueil est d'accorder plus d'importance à ce qu'est
l'Église en tant qu'institution qu'au message dont elle est porteuse. Chaque
fois que l'Église prend des décisions autoritaires ou disciplinaires, quand
elle se mêle trop du temporel, le message évangélique qu'elle porte est trahi.
Nous avons évidemment besoin de l'Église comme institution, car c'est elle qui,
depuis des siècles, structure le catholicisme. Mais nous avons aussi besoin de
dissidents, de gens qui l'interpellent, qui la remettent en cause et qu'elle
menace parfois d'excommunier... avant de les canoniser plusieurs siècles plus
tard ! Ce que je trouve magnifique dans l'histoire de la chrétienté, c'est ce
balancement entre l'institution et ses dissidents. Je lis Bernanos depuis que
je suis adolescent. Dans ses Écrits de combat, ce catholique fervent
se montre particulièrement intransigeant à l'égard de l'Église. Il y a toujours
eu des chrétiens anticléricaux ; c'est aussi ce qui explique la longévité du
christianisme. S'il n'y avait eu que l'Église, l'institution se serait
sclérosée. S'il n'y avait eu que les chrétiens contestataires, le message se
serait perdu en route. Les deux sont indissociables.
Certains chrétiens se sentent incompris. Comment
l'expliquez-vous ?
Je suis habité par une colère. La façon dont on humilie les
chrétiens me désole. Et c'est une exception propre à la France, au Québec et à
la Belgique. Partout ailleurs, personne ne songerait à désigner les chrétiens
comme des obscurantistes et des incultes... Notre culture a été façonnée par
plusieurs siècles de christianisme. La plupart des valeurs qui sont aujourd'hui
dites « républicaines » proviennent de la Bible et de la pensée grecque. Il est
donc absurde de considérer les croyants comme des arriérés. Il y a dans une
seule page de l'Évangile de Jean plus d'intelligence, de profondeur et de
pertinence que dans tous les livres des nouveaux philosophes à la mode. Le
véritable problème est que nous vivons dans un monde qui prétend tout
rationaliser, et dans lequel certains athées se croient plus malins que les
autres.
Des chrétiens conservateurs n'hésitent pas à critiquer le
pape, qui tiendrait un discours « irresponsable » sur les migrants.
La présence de François est-elle irradiante ou irritante ?
Irradiante, bien sûr ! Pour la première fois, nous avons un
pape qui est plus « à gauche » que les partis socialistes européens ! Cela dit,
Jean Paul II, en 1991, avait publié une encyclique, Centesimus
annus, qui critiquait longuement le capitalisme. Et ce, au moment où le
communisme était en train de s'effondrer. Entre écologie intégrale et accueil
de l'étranger et du pauvre, le message évangélique est souvent plus
progressiste qu'on ne le pense. Le pape François se soucie des pauvres dans
leur entièreté ; pas seulement de leur niveau de vie, mais aussi de leur
dignité. Ceux que nous appellerons les « catholiques athées » ne se sentent
attirés que par l'institution. Le message chrétien passe au second plan.
Bernanos se moque de ces gens-là et dénonce ceux qui s'imaginent que le Christ
est mort sur la croix pour permettre aux propriétaires de dormir tranquilles...
Par exemple, Charles Maurras était athée ; il ne s'est intéressé que quelques
heures avant sa mort au message évangélique. Il jugeait en revanche que
l'institution cléricale permettait à la société d'être structurée et stable. Il
avait une vision instrumentale du christianisme. D'où sa fameuse phrase : « Je
suis athée, mais catholique. »
Au fond, ne pas être d'accord avec les positions politiques
du pape, n'est-ce pas être un dissident, un catholique contestataire ?
Cela dépend. S'il s'agit de rejoindre les « identitaires »,
je m'y refuse. Il existe une notion d'immobilité dans leur manière de concevoir
le monde et la foi. Or la foi chrétienne est une marche jamais achevée. Il faut
un orgueil incroyable au chrétien qui affirme le contraire !
Est-il plus facile de se dire catholique aujourd'hui qu'il y
a 10 ou 20 ans ?
Il y a 10 ans, mon livre Comment je suis redevenu
chrétien a obtenu un succès inattendu. On me demandait : « Comment
avez-vous trouvé le courage de dire que vous étiez chrétien ? »Quelle rigolade
! Les chrétiens courageux sont ceux qui sont persécutés en Syrie, en Irak, dans
certains pays d'Afrique ou d'Asie. En France, tout ce que l'on risquait,
c'étaient quelques moqueries parfois injurieuses. Or cela est en train de
changer. Le politique semble avoir abandonné le laïcisme agressif que certains
ministres ont pu adopter il y a quelques années.
Qui sont les chrétiens « raisonnables » ?
Ceux qui acceptent de rendre raison de la foi qui est en
eux. Le chrétien raisonnable croit, mais consent toujours à soumettre sa foi à
la raison critique – c'est même un devoir pour lui. Jacques Ellul, théologien
protestant dont je suis toujours resté proche, était issu d'une famille athée.
À 18 ans, il s'est converti au christianisme. Pour voir si sa foi était solide,
il a passé une année à lire toute la littérature antichrétienne. À ce propos,
le vrai dialogue interreligieux n'est possible qu'en acceptant l'idée que
l'autre a peut-être quelque chose qui nous manque. Cornelius Castoriadis avait
une formule magnifique de simplicité pour désigner l'acte de croire en général
: « Toute croyance est un pont jeté sur l'abîme du doute. » C'est
une action volontaire, qui n'exclut pas le doute, mais qui permet de le
surmonter.
Comment combattre ce que vous nommez la « tentation
de la citadelle » ?
La tentation du repli dessèche le chrétien. Comme si la foi
était si faible qu'il fallait la mettre sous cloche. On n'est certes pas obligé
de croire tout ce que la modernité apporte. Il existe deux formes de sottise :
tout accepter et tout refuser. D'un côté, la sacralisation du progrès et de la
transgression. De l'autre, le rejet global de la modernité. Le monde évolue et
nous avons besoin de discernement pour nous aider à faire les bons choix. À la
citadelle, il faut préférer un espace intérieur de recueillement non soumis aux
prétendues urgences contemporaines.
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"La foi ne doit pas être une contradiction qui fait la morale, mais une contradiction qui génère de la perplexité chez les personnes qui sont prêtes à l'entendre et qui les renvoie à ce qu'ils croient vraiment. c'est ce que dit le Christ : "Que celui qui a des oreilles entende !" (Pierre-Louis Choquet, in La Vie, 2/11/17)
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"La foi ne doit pas être une contradiction qui fait la morale, mais une contradiction qui génère de la perplexité chez les personnes qui sont prêtes à l'entendre et qui les renvoie à ce qu'ils croient vraiment. c'est ce que dit le Christ : "Que celui qui a des oreilles entende !" (Pierre-Louis Choquet, in La Vie, 2/11/17)
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