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jeudi 20 avril 2017

La guerre de l'eau

"Les robinets n'ont plus déversé que de la poussière. À Damas, le 22 décembre 2016, un fléau s'est abattu sur la ville relativement épargnée par la guerre jusque-là : l'eau s'est arrêtée de couler. En cause, les campagnes militaires autour de Wadi Barada, à une vingtaine de kilomètres de là, où se trouvent les sources qui fournissent en eau potable 70% de la population de la capitale syrienne. Un lieu stratégique qui échappait au régime depuis 2012 et qu'il bombardait sans relâche en accusant les insurgés de sabotage. Tandis que ces derniers expliquaient que les bombardements avaient détruit les infrastructures. Résultat : 5,5 millions d'habitants n'ont plus eu d'eau pendant plusieurs semaines jusqu'à ce que les forces loyalistes reprennent la ville aux rebelles après un mois de combat. 
« Les Damascènes se sont alors mis à courir après l'eau, témoigne Philippe Bonnet, chef de mission de l'ONG Solidarités International. Ils ont dû aller la chercher au puits. Le gouvernement a mis en place aussi un système de water trucking, une distribution par des camions. Des petits business se sont même créés. Lorsque quelqu'un dispose d'un puits chez lui, il vend l'eau à ses voisins. Elle est plus chère à cause de la hausse du prix du carburant. Aujourd'hui, 25% du budget des familles passe désormais dans l'achat de l'eau. » Pourtant, avant la guerre, il existait un bon système de distribution en Syrie.

Mais six ans de conflit ont mis à mal les infrastructures. Les destructions sont nombreuses. « À Dabiq, par exemple, une ville à 10 km de la frontière turque qui a été longtemps occupée par Daech, un tank a roulé sur les canalisations », poursuit l'humanitaire. Surtout, les belligérants prennent souvent le contrôle de barrages ou d'infrastructures hydrauliques. Utiliser la ressource comme une arme de guerre est même devenu une spécialité de l'organisation État islamique (EI). C'est en tout cas la conclusion d'une étude intitulée The Weaponization of Water in Syria and Irak (« l'eau comme arme de guerre en Syrie et Irak »), menée par Marcus D. King, un chercheur américain. Sur les 44 faits de guerre où l'eau a joué un rôle, recensés entre août 2012 et juillet 2015 par ce spécialiste des guerres énergétiques, 21 sont le fait de l'EI. « C'est logique puisque l'objectif de l'État islamique est la conquête territoriale », explique le chercheur. Les djihadistes occupent des barrages pour obtenir le contrôle de terres agricoles stratégiquement importantes ou bien s'emparent d'infrastructures hydrauliques pour se donner l'apparence de la souveraineté. 
Plus étonnant, l'EI utilise aussi les ressources aquifères pour des besoins tactiques. En octobre 2014, il a ainsi détourné un affluent du Tigre pour inonder une partie de la ville de Mansouriya en Irak et faire fuir des centaines de familles. Le groupe avait appliqué une méthode semblable un mois plus tôt dans la même province mais, cette fois, pour bloquer l'avancée des forces irakiennes.
Ce n'est pas la première fois que l'eau est utilisée comme une arme dans la région. C'est même dans cette zone, autrefois le royaume de Mésopotamie, qu'a eu lieu la première guerre de l'eau. Il y a 4 500 ans, Urlama, roi de Lagash, avait ainsi détourné un cours d'eau pour alimenter des canaux frontaliers, déclenchant la colère des habitants d'Umma, le pays voisin, qui n'y avaient plus accès. Plus récemment, Saddam Hussein s'est vengé de la même manière d'une population chiite, les Arabes des marais, qui vivent dans la zone marécageuse entre le Tigre et l'Euphrate et qui avaient eu l'audace de se lever contre lui, en 1991, au moment de la guerre du Golfe. « Saddam Hussein a alors détourné l'eau du fleuve qui les abreuvait. Résultat : il a jeté sur les routes plus de 100.000 personnes, détruit un mode de vie unique et provoqué un désastre environnemental », écrit Marcus D. King.

Une des causes du soulèvement populaire
Aujourd'hui, l'eau, et surtout sa raréfaction, est même considérée comme l'une des causes du soulèvement populaire de 2011 en Syrie. Entre 2006 et 2010, les paysans syriens ont subi quatre années de sécheresse successives. La Syrie fait partie de ce qu'on nomme les « hot spots » du dérèglement climatique, ces zones particulièrement touchées par la baisse des précipitations et la hausse des températures. Les conséquences sociales furent à l'époque, désastreuses : deux millions de personnes sont tombées dans la pauvreté. Plus d'un million d'agriculteurs syriens ont quitté les campagnes pour rejoindre les villes. Ce fut le cas notamment à Deraa, où en mars 2011, des adolescents sont arrêtés puis torturés pour avoir tagué des slogans hostiles au régime. Ce sera le premier épisode de colère populaire qui va finalement déboucher sur la guerre.

Mais le réchauffement climatique n'est pas le seul responsable. La zone est aussi le théâtre d'une bataille pour l'eau au niveau régional. En cause, la Turquie où se trouvent les sources du Tigre et de l'Euphrate et qui a lancé dans les années 1990 un vaste programme de développement de l'Anatolie du Sud-Est, la région frontalière avec la Syrie et l'Irak, le Gap (Güneydogu Anadolu Projesi, « projet du Sud-Est de l'Anatolie »), soit un plan de construction de 22 barrages sur le Tigre et l'Euphrate, 19 centrales électriques et des systèmes d'irrigation pour 1,7 million d'hectares. Objectif de ce programme faramineux, réalisé en partie : dynamiser la région... et faire en sorte que les populations kurdes de la zone ne se tournent pas vers les partis indépendantistes kurdes. Mais les conséquences pour les pays voisins, l'Irak et la Syrie, sont lourdes : aujourd'hui, le débit de l'Euphrate aurait diminué d'environ 50% et celui du Tigre, de 66%.

L'autosuffisance alimentaire
En Syrie, les politiques agricoles menées par le Baas, le parti des Assad, ont aggravé la situation. Lorsqu'il arrive au pouvoir en Syrie en 1963, c'est une formation politique agrarienne, dont une grande partie des membres vient des zones rurales. L'objectif du régime est alors l'autosuffisance alimentaire. Pour cela, Damas va mettre en place une politique hydroagricole très volontariste. « La sécurité alimentaire devient le pilier de l'indépendance du pays, explique le géopoliticien Pierre Blanc, auteur de Proche-Orient : le pouvoir, la terre et l'eau (Paris, les Presses de sciences po, 2012). Le régime se lance dans la construction de grands barrages et d'équipements hydrauliques. Comme cela ne suffit pas, l'État subventionne le gas-oil pour permettre aux paysans de pomper l'eau parfois très en profondeur. » Le régime développe également des cultures aquavores dans le nord-est du pays. 
Lorsque Bachar el-Assad arrive au pouvoir, il se lance dans la libéralisation de son économie. « Or, comme en Égypte, il va s'agir davantage d'une "libéralisation-appropriation"des ressources du pays par une caste, analyse le chercheur. Des permis de forage sont distribués à tout-va pour des raisons clientélistes. » Résultat : les nappes phréatiques se sont épuisées progressivement. L'assèchement de certaines est même perceptible dès le début des années 2000. Dans ces conditions, impossible de faire face à quatre années de sécheresse successives.
Face à ce désastre, la réponse de l'État syrien a tardé. La guerre a achevé de mettre le système agricole syrien à terre. « Le manque d'eau, le conflit et le fait que l'État syrien a arrêté d'acheter le blé produit, comme il le faisait avant la guerre, font que la production alimentaire a baissé de 63% par rapport à 2011, témoigne Philippe Bonnet de Solidarités International. Sept millions de personnes se trouvent en insécurité alimentaire aujourd'hui. » La situation est si grave que le problème des barrages turcs n'est même plus une priorité pour le régime syrien. « Damas n'a d'ailleurs pas beaucoup d'intérêt à négocier sur ce sujet, renchérit Philippe Bonnet, car les zones concernées sont le Rojava, la zone de peuplement kurde, et la région occupée par l'État islamique. »

Alors que faire ? Après avoir longtemps sous-estimé la question au niveau mondial, l'Onu réfléchit à sanctuariser les barrages et les réserves hydriques dans les zones de conflit. Le Conseil de sécurité de l'Onu pourrait donc à l'avenir déclarer que l'eau est une « ressource stratégique pour l'humanité » et adopter une résolution visant à protéger ces installations vitales analogue à la résolution 2286, qui protège – en théorie – les établissements sanitaires en cas de conflit armé.

Négocier sur le partage de l'eau
Surtout, instaurer une paix durable en Syrie et en Irak ne pourra pas se faire sans la mise en place de négociations sur le partage de l'eau avec la Turquie. Ce n'est pas une mince affaire. La question apparaît d'ailleurs dès le traité de Lausanne de 1923 réglant le sort des territoires de l'Empire ottoman après sa dislocation. Le texte prévoyait la mise en place d'une commission mixte regroupant les trois États, chargée de gérer les litiges qui pourraient naître des projets hydrauliques. Mais celle-ci n'a jamais vraiment fonctionné. Depuis 1962, plusieurs cycles de négociations se sont tenus, sans grand succès... Il faut dire que la Turquie n'est pas de très bonne volonté. Elle milite pour que le Tigre et l'Euphrate n'aient pas un statut international. Elle a également voté contre la Convention internationale de l'Onu de 1997 sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau à des fins autres que la navigation. Entrée en vigueur en 2014, le texte prévoit notamment une concertation avant tout aménagement sur un fleuve partagé par plusieurs pays. 
Ankara a donc réussi à faire de son eau une ressource aussi stratégique que le pétrole. Mais cette position sera-t-elle tenable longtemps ? La région sera particulièrement touchée par le réchauffement climatique. Les projections indiquent qu'un réchauffement de la planète de 2°C y entraînerait une réduction des précipitations de 20% à 40%. La situation pourrait être si tendue que les États de la région seront sans doute dans l'obligation de reconsidérer leur position. Et – qui sait ? – de faire du partage de l'eau au Moyen-Orient le socle d'une paix durable."

(La Vie, 16 mars 2017)

mardi 18 avril 2017

"Bonjour Tristesse" de Françoise Sagan (1954)

"… on s’habitue aux défauts des autres quand on ne croit pas de son devoir de les corriger."

lundi 10 avril 2017

Barbara Hendricks, grande voix et humble croyante

"Avoir la foi, c'est être humble.
Il y a énormément de choses pour lesquels j'ai de la gratitude. Ce n'est pas moi qui fais briller le soleil, qui ai mis les planètes autour. 

La prière m'est nécessaire, car elle me remet à ma place. 
Ce n'est pas par hasard que les gens prient à genoux. Car nous, les êtres humains, nous pouvons être tellement arrogants ! Il y a un moment où il faut se mettre à genoux. D'abord dans la gratitude."

(in L'1visible, avril 2017)