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dimanche 21 avril 2024

"Oppenheimer" : je n'ai pas supporté la vision jusqu'au bout

Le film d’un réalisateur fasciné par un monde qui le dépasse et qui veut pourtant se positionner comme un être supérieur. 

Grosses ficelles (l’élocution d’Oppenheimer), arrogance de l'écriture (des dialogues en particulier, qui claquent sentencieusement sans se répondre vraiment, genre Asperger’ style), boursouflures formelles (espace et temps, avec un montage inutilement emberlificoté). 

Comme le très apprécié critique Laurent Dandrieu, je regrette « les confusions temporelles où l’on se perd, les personnages multiples qu’on a négligé de nous présenter avec précision et des représentations (…) d’une lourdeur kilotonnique ».


Que ce film ait raflé les Oscars est déprimant… 

Mais finalement chaque époque produit ses Oscars de pacotille (je me souviens de The English Patient en 1996, dont le sacre hollywoodien m’avait ouvert les yeux). 

mardi 9 avril 2024

Politesse et politique ont les mêmes finalités

"(…) 
il est toujours risqué de se croire plus malin que tous ceux qui vous ont précédé.
Dans un monde qui sur tant de plans a sombré dans la brutalité, la vulgarité, l’ignorance et l’égoïsme radical, il y a effectivement nombre de choses belles, raffinées et civilisées qui paraissent désuètes. Sans doute la politesse est-elle de celles-là. Or, malheureusement, c’est notamment parce qu’elle semble désuète que notre monde en est arrivé là, son rôle particulier – comme son nom l’indique – étant justement de “polir” les rapports entre les personnes afin de les rendre plus fluides, moins rugueux, d’éviter les frottements et, de là, les conflits et même les violences que risque sinon d’engendrer la vie quotidienne (…)

Autour de Mai 68, une majorité de Français déclarait la politesse ringarde, dépassée, voire oppressive, bourgeoise et patriarcale. Mais la tendance s’est inversée au cours des années 1980, (…)

(…) une vieille règle des traités de savoir-vivre, selon laquelle on ne parle pas de politique à table : non parce que cela serait inconvenant ou gênant, comme d’y causer de sexe ou d’argent, mais parce que les questions politiques, au sens large du terme, sont de celles qui suscitent les oppositions les plus fortes, qui échauffent les esprits, excitent les passions et qui, par conséquent, risquent de conduire des personnes parfaitement bien élevées à se comporter comme des sauvages. Quand on parle politique, la sociabilité est plus menacée que jamais, notamment à table, lieu pacifié par excellence et intégralement régi par les normes de la bienséance, comme je le rappelle longuement dans mon livre (…)

(…) contrairement à ce que pouvaient déclarer certains prophètes naïfs comme Victor Hugo, la mise en place de la démocratie n’entraîne pas un apaisement définitif des rapports politiques. Notamment dans la mesure où, centrée autour de la compétition électorale, la démocratie est un système où la lutte ne cesse jamais et où, par conséquent, les violences symboliques, les impolitesses, les atteintes à la civilité inhérentes à cette lutte sont de tous les instants (…)
Les historiens politiques ont ainsi pu démontrer qu’au Parlement, le pic de l’impolitesse coïncide avec l’apogée de ses pouvoirs, sous la IIIe République, tandis qu’à l’inverse, le Parlement muselé et rationalisé de la Ve République semble plus poli qu’aucun de ses prédécesseurs, surtout lorsque le président de la République bénéficie de l’appui d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale et qu’il est ainsi le seul maître du jeu."

(Extraits d'un entretien avec Frédéric Rouvillois dans Valeurs Actuelles, 4/04/2024)

jeudi 4 avril 2024

Entretien avec l'amiral Philippe de Gaulle - Mars 1988

Quand vous entendez François Mitterrand prêcher l’unité nationale et ses lieutenants comparer sa philosophie du rassemblement à celle du Général, quelle est votre réaction ?

François Mitterrand n’a jamais été un homme de rassemblement et son hostilité au général de Gaulle fut la donnée permanente de toute son action politique. Pire : il a contribué, dès la Libération, à faire échouer le rassemblement des Français.
Mon père, pourtant, lui avait donné sa chance dès ce moment-là : on ne rappelle pas assez que Mitterrand fut secrétaire général aux prisonniers de guerre dans son gouvernement, dès août 1944. Pour lui faciliter la tâche, le Général alla même jusqu’à demander à son propre neveu, Michel Cailliau, de fondre le réseau Charette qu’il animait alors dans le Mouvement national des prisonniers, que voulait diriger Mitterrand.
Qu’a fait ce dernier ? Il s’est servi de ses fonctions à des fins démagogiques (et Dieu sait s’il était facile d’exploiter l’amertume des prisonniers qui rentraient sans argent, sans métier, sans famille parfois !). Puis il les a poussés à défiler en signe de protestation dans les rues de Paris ! Il fut promptement rappelé à l’ordre par mon père, qui dut lui signifier que l’organisation de telles manifestations était incompatible avec ses fonctions officielles et l’état de guerre de la France.
Voilà tout Mitterrand : susciter des monômes pendant que l’ennemi occupe encore une bonne partie du territoire !
C’est dès l’origine par conséquent que François Mitterrand s’est séparé du général de Gaulle : il a ainsi manqué de s’insérer dans une trame historique qu’il ne peut revendiquer sans tromper le pays…

Quelle est donc votre conception du rassemblement ?

Quand le général de Gaulle appelait les Français à se rassembler, ce n’était pas un artifice destiné à grappiller des voix avant une échéance électorale. Il leur demandait de faire abstraction pour un temps de leurs différences et de leurs origines partisanes pour défendre ensemble la patrie en danger.
Que fut l’épopée de la France libre, sinon la longue marche d’une minorité d’hommes que tout séparait, si ce n’est la certitude qu’ils réuniraient un jour une majorité de Français ? Pensez aux drames de 1940 : les Anglais bombardant la flotte française à Mers el-Kébir ; des Français tirant à Dakar sur d’autres Français envoyés en parlementaires !
Tout cela n’a pas empêché la poignée d’hommes que nous étions d’œuvrer obstinément pour la restauration de l’indépendance française en dépit de tout ce qui pouvait nous opposer à ceux que nous rencontrions au fur et à mesure.

Vous avez servi vous-même dans le régiment blindé de fusiliers marins de la division Leclerc. Or, ce régiment était composé d’hommes qui avaient combattu contre les Anglais et avaient chanté Maréchal, nous voilà !. Comment aviez-vous vécu ces différences ?

Quand je me suis engagé dans ce régiment de la 2e DB, j’étais le seul homme provenant des Forces françaises libres. Aucun autre n’appartenait aux rangs gaullistes. Voilà qui n’a pas été de tout repos dans les premiers temps, mais qui nous a renforcés, tous autant que nous étions, dans la conviction qu’il fallait dépasser nos origines politiques pour tendre vers un objectif supérieur.
L’esprit de la Résistance n’était pas différent : quoi de commun entre les socialistes qu’on y rencontrait, les maurrassiens qui s’y ralliaient, et les communistes qui y sont venus à partir de 1941 ?

En 1946, le clivage entre droite et gauche s’est reconstitué. Le général de Gaulle a réclamé la réforme des institutions. Comment définiriez-vous aujourd’hui la droite et la gauche ?

Il est vrai que, pour mon père, les notions de droite et de gauche signifiaient peu de choses face aux impératifs historiques du redressement. Il n’est pas faux non plus qu’il y eut chez les gaullistes des gens pour se proclamer de gauche et d’autres qui se voulaient plus conservateurs. Mais ces différences de sensibilités ne se sont jamais traduites en termes politiques. Quand des “gaullistes de gauche” comme Louis Vallon, René Capitant ou le général Billotte se présentaient à une élection quelconque, il y avait toujours en face d’eux un socialiste ou un communiste qui incarnaient un autre choix de société.

Ce qui veut tout de même dire que deux conceptions du monde coexistent dans la vie politique française…

Oui, mais elles tiennent surtout à la conception de l’homme que se font les uns et les autres. Aujourd’hui comme hier, il y a ceux qui veulent une société de liberté et ceux qui ne conçoivent le gouvernement des hommes que par le nivellement.
La droite, puisqu’il faut bien l’appeler ainsi, se bat pour une société d’initiative, sanctionnée par une règle du jeu commune qui permet à tous les citoyens de se développer selon leurs aptitudes.
La gauche, à l’inverse, voudrait créer un type d’homme unique, formé par la contrainte cachée par la démagogie : c’est une forme moderne du servage, puisqu’elle conduit les citoyens à s’en remettre aux choix d’une oligarchie d’appareil qui décide à leur place de ce qui est bon pour eux.
Là réside le clivage presque théologique qui nous sépare des socialistes : c’est parce que nous savons que tout ne peut pas être réglé par l’homme et que le monde est foncièrement inégalitaire que nous voulons l’améliorer en nous servant des meilleurs pour tirer les autres vers le haut. Telle n’est pas la conception de la gauche, qui, à l’instar de la fable de La Fontaine, préfère couper la queue de tous les renards pour rendre la masse identique à celui qui n’en a pas.
En refusant d’admettre que le sort est maître de beaucoup de choses et que ce qui est inégal chez les hommes est souvent déterminé de façon transcendantale au-delà de leurs choix et même de leur compréhension, les socialistes refusent en fait le libre développement de l’homme qu’au nom d’une égalité mythique ils veulent, par la contrainte ou la résignation, fondre dans un système collectiviste aseptisé par la doctrine.

Un autre clivage ne sépare-t-il pas ceux qui croient encore à la France et ceux qui n’y croient plus ? Ceux qui fondent leur action sur le socle national et ceux pour qui la notion de patrie est dépassée ?

Ce clivage existe tout à fait. Il est le lot de toutes les périodes où la décadence menace. Refuser l’identité nationale et l’effort qu’elle impose aux vrais citoyens est une fuite en avant qui ne présage rien de bon pour l’avenir. Fermer les yeux sur la lutte biologique qui oppose les nations et les systèmes politiques, c’est se mettre en position d’être vaincu par plus fort que soi. C’est sacrifier sa liberté à des mythes sans fondement…

N’est-ce pas ce que risquent de faire ceux qui mènent campagne à la fois pour la société multiculturelle et pour le vote des étrangers ?
C’est détruire l’identité française que de pousser les gens à affirmer leurs différences et à refuser l’assimilation. Notre pays n’a été grand que parce qu’il a offert un creuset culturel commun aux vagues d’immigrants qui ont accepté de s’y fondre. L’assimilation, c’est le contraire de la société multiculturelle que souhaitent les socialistes.
L’exemple du malheureux Liban nous montre ce qu’il advient des États qui admettent que des communautés n’obéissant pas à sa loi s’installent et se développent en son sein.

Face à la gauche, dont vous venez de décrire la philosophie, la majorité RPR-UDF dispose, en gros, de 45 % des voix. Elle ne peut gagner l’élection présidentielle sans obtenir le report des suffrages qui, jusqu’à présent, se sont portés sur le Front national. Comment résoudre cette équation ?

Les électeurs du Front national appartiennent à deux catégories : une petite minorité d’irréductibles qui refusent par principe le système en place. Et je dirai même : la République quelle qu’elle soit. Ce sont des gens qui ont souffert, ont été victimes d’injustices ou ont été marqués par les cicatrices de l’histoire.
Mais la grande majorité des électeurs du Front national savent où se trouve leur intérêt : s’ils reprochent au RPR et à l’UDF de ne pas être allés assez loin dans certains domaines (l’immigration en particulier), ce n’est pas pour se jeter au deuxième tour dans les bras d’un parti qui incarne l’inverse de leur philosophie.

Vous-même, pourquoi vous être engagé à 66 ans dans le combat électoral ?

C’est l’importance décisive de l’échéance présidentielle qui m’a décidé. Après quarante-deux ans et demi de métier militaire, j’aurais pu profiter de la retraite en taillant mes rosiers. Mais le choix de société qui nous est imposé m’a semblé si profond et ses implications tellement graves, que je n’avais en fait qu’une unique solution : m’engager au côté de Jacques Chirac.

(in Valeurs actuelles)

Philippe de Gaulle est décédé le 13 mars 2024, aux Invalides, à 102 ans.
Fils du général de Gaulle, mais marin, jusqu’au grade d’amiral, exerçant les fonctions d’inspecteur général de la marine,  il fut ensuite sénateur de Paris (1986-2004).
Il était grand-croix de la Légion d’honneur et grand-croix de l’ordre national du Mérite. 

lundi 12 février 2024

Antonin Artaud - Correspondance avec Jacques Rivière

Jacques Rivière
Le seule remède à la folie, c'est l'innocence des faits.

Antonin Artaud
Cette inadaptation à l'objet, qui caractérise toute la littérature, est chez moi une inapplication à la vie. Je puis dire, moi, vraiment, que je ne suis pas au monde, et ce n'est pas une simple attitude d'esprit.

Il ne faut pas trop se hâter de juger les hommes, il faut leur faire crédit jusqu'à l'absurde, jusqu'à la lie.

Jacques Rivière
Comment distinguerons-nous nos mécanismes intellectuels ou moraux, si nous n'en sommes pas temporairement privés ? Ce doit être la consolation de ceux qui expérimentent ainsi à petits coups la mort qu'ils sont les seuls à savoir un peu comment la vie est faite.

dimanche 11 février 2024

Sur la littérature - Antoine Compagnon

"La littérature, suggère Montaigne, est une pensée hasardeuse, une pensé à la recherche de soi…

(…) l'aventure sans laquelle il n'y a pas de littérature.

(…) il appartient à la littérature de comprendre seulement jusqu'à un certain point, de demeurer dans les marges de la pensée et se suspendre le jugement."


dimanche 14 janvier 2024

Deux films actuels, deux inepties idéologisées

Mes parents commencent à regarder un western, je continue d’abord à lire. Puis, assez vite, je me rends compte qu’il y a Nicolas Cage. Ça s’appelle Butcher’s Crossing, et c’est sorti l’année dernière. 

C’est l’histoire d’un jeune étudiant d’Harvard qui a décidé de tout quitter pour partir à l’aventure. Dans une petite ville du Kansas, il rencontre Miller (Nicolas Cage), un chasseur de bisons et s’embarque avec lui et deux autres gars dans les montagnes du Colorado : Miller dit avoir repéré un coin, connu uniquement par les Indiens, où se baladent d’immenses troupeaux. 

J’ai cru que ça allait être bien, j’aime bien les films d’aventure, donc j’ai arrêté de lire.


Et puis, peu peu, j’ai déchanté. 

J’ai d’abord trouvé le montage étrange, limite débile.

Puis le personnage du jeune a commencé à m’agacer avec sa passivité, son physique de roux mou (un certain Fred Hechinger). 

J'ai attendu l'attaque des Indiens… en vain.

Miller (Cage, un « boomer » pour incarner les méchants white men) abat les bisons les uns après les autres, sans que le troupeau ne bronche. 

Et puis l’hubris de Cage qui veut toujours plus de peaux (on ne sait pas pourquoi, mais bon c’est dicté par l’idéologie woke de ce western de notre temps) va les coincer pendant l’hiver. On va s’ennuyer avec eux. 

Finalement le printemps arrive, ils repartent. Dans une pente, un essieu se pète, la cariole culbute dans un ravin avec son conducteur (un vieux, qui radotait des trucs religieux, bref un déjà mort) et sa cargaison. 

Et quand ils retournent à Butcher’s Crossing, le marché de la fourrure de bisons s’est effondré. C’est ballot et furieusement start-up nation. 

Un des marchands qui avait tenté de dissuader le jeune blanc-bec de partir dans cette expédition lui demande :

- Ça en valait le coup ?

- J’ai vu ce que je voulais voir, monsieur 

-La jeunesse… vous pensez toujours qu’il y a quelque chose à découvrir. Ça ne vous suffit pas, un emploi et travailler, il vous faut quelque chose de plus grand. »

Et le jeune de partir dans un rire à la limite des pleurs… 

Après cette scène, j’ai arrêté , même s’il ne restait que quelques minutes. Trop insupportable. 


Bref, un western de la génération Z : mou, déprimant, mal fichu, politiquement correct (ecolo/indigeno/pasboulo)


Ensuite, je me dis bon, je vais regarder un documentaire que j’avais mis dans mes favoris depuis un moment : « Vigo, Renoir et Grémillon, les éclaireurs de l’ombre ». Je regarde surtout à cause de Gremillon dont j’ai récemment découvert le génie. 

Très vite je me rends compte que là aussi, c’est un documentaire de cette génération d'endoctrinés : ça parle en fait des Noirs dans le cinéma français des années 30. Des effets délétères de la transdisciplinarité idéologisée imposée dans l'éducation nationale.

Là aussi, c’est mou et déprimé. Et le niveau, malgré une prétention intellectuelle, est médiocre et confus. 

J’ai tenu 10 minutes…

mardi 26 décembre 2023

Noël n'est pas une fête païenne récupérée par les chrétiens

Qui n'a jamais entendu dire que Jésus n'est pas né un 25 décembre et que si l'Église avait pris cette date, c'était pour christianiser la fête païenne du solstice d'hiver ? 

Cette OPA symbolique du pape Libère en 354 fonctionna du feu de dieu. Le christianisme effaça le Soleil de l'horizon – et pour toujours. Les Romains ne croyaient-ils pas pourtant qu'il était invaincu ? À sa place, l'Église mit sur le trône de l'humanité le Soleil de justice. Intelligemment, elle s'appropria le meilleur du paganisme antique. L'Occident est l'héritier de cette épopée là.


Le 25 décembre est-il un détail du calendrier ? Que Jésus soit né à cette date ou à une autre importe-t-il peu ? Pas sûr à l'heure où l'on s'échine à tout déconstruire. Un Michel Onfray affirme que Jésus n'a pas existé. Et il est très médiatisé.


Or la vérité factuelle est l'assurance-vie du christianisme. Si le jour de l'incarnation devenait un mythe, Jésus ne serait plus qu'une figurine comparable à un bouddha posé sur une étagère. La Révélation deviendrait le passé d'une illusion, pour reprendre le titre d'un essai célèbre. Déjà atteintes par les abus, l'Église et la légitimité de sa parole s'en trouveraient anéanties. Noël ne serait plus une « marque déposée ». La débauche de consumérisme avait déjà dénaturé le sens de la Nativité, sans que l'institution n'y réagit avec virulence. Maintenant, la promotion d'un Noël dit « inclusif, diversitaire et féministe » s'emploie carrément à détourner l'événement, lequel ne ressemblera bientôt plus à rien.


L'enjeu n'est pas mince. Normalien, agrégé de philosophie, Frédéric Guillaud se pose une question simple dans un essai intitulé Et si c'était vrai ? (Marie de Nazareth, 2023). Il pense que Jésus peut réellement être né le 25 décembre.

Le calcul est le suivant : « Selon saint Luc, au moment de l'Annonce faite à Marie, date de la conception miraculeuse de Jésus, Élisabeth était enceinte de Jean-Baptiste depuis six mois. En outre, l'évangéliste nous apprend que la conception de Jean-Baptiste remontait au moment où son père, Zacharie, prêtre de la classe d'Abia, était en service au Temple. Or, des archéologues ont trouvé dans les manuscrits de Qumrân le calendrier des tours de service des différentes classes de prêtres. Il s'avère que, pour la classe d'Abia, c'était le mois de septembre. Voilà qui nous donne l'enchaînement suivant : conception de Jean-Baptiste fin septembre ; conception de Jésus six mois plus tard, c'est-à-dire fin mars ; donc, naissance de Jésus neuf mois plus tard… fin décembre ! CQFD. On rappellera au passage que, dans l'Église d'Orient, la conception de Jean-Baptiste est, comme par hasard, fêtée le 25 septembre, ce qui concorde avec la découverte des archéologues. »


Mais l'histoire ne s'arrête pas à ce chapelet de concordances. Ce que l'on ignore le plus souvent, c'est que les Romains ont cherché à paganiser une fête chrétienne. Frédéric Guillaud explique : « Quand on évoque la fête romaine du Soleil, on s'imagine en effet qu'il s'agissait d'une fête immémoriale, fixée au 25 décembre depuis longtemps. Mais pas du tout. C'est une fête postchrétienne (…) créée de toutes pièces par l'empereur Aurélien en 274 – sous le nom de "jour natal du Soleil invaincu : Sol invictus" ». Dans quel but ? Il s'agissait, poursuit-il, « d'unifier l'Empire sous un culte unique, issu du culte oriental de Mithra, à une époque où le christianisme menaçait déjà sérieusement le paganisme. » Car les Romains, jusque-là, ne fêtaient rien le 25 décembre : « Les Saturnales se terminaient le 20 décembre », précise Guillaud.

À cette époque, les chrétiens n'avaient pas encore officiellement fixé la date de Noël mais des communautés la célébraient déjà le 25 décembre. « En 204, Hippolyte de Rome en parlait déjà comme d'une date bien établie, dans son Commentaire de Daniel », rappelle Guillaud.

Ainsi, selon cette version, s'effondre l'idée reçue que Noël récupère une fête païenne. C'est plutôt l'inverse, Sol Invictus étant une réaction romaine à l'aube croissante de la Nativité.


(Louis Daufrenes, La Sélection du Jour, 23/12/2023)